Les Mystères du Weiqi
 
                             -- Règles d’Or du Roi --
 
                        d’après Youyi Chen, traduit et adapté par Laurent Lamôle
 

Partie 2 : Rù Jiè Yí Huǎn   ( 入 界 宜 缓 )


La règle d’or numéro 2 selon Wang Ji Xin, est : « Rù Jiè Yí Huǎn »

Rù = entrer
Jiè = limite, frontière
Yí = devrait
Huǎn = non précipité, sans hâte, lent, posé

De tout évidence, ce conseil légendaire nous dit que nous devons « faire attention en pénétrant dans le territoire de notre adversaire ». La clé repose ici, sur la compréhension du mot "Huǎn". D’après les dictionnaires chinois modernes, "Huǎn" est en relation avec les mots "Màn" et "Chí", c'est-à-dire "lent" et "posé" en français. C’est pourquoi on peut interpréter cette règle par :

 « Restez posé lorsque vous entrez chez l’adversaire ».

On peut aussi citer la formulation du même principe, par Otake Hideo :

« Pénétrer la sphère adverse gentiment et facilement ».


Avec cette règle d’or en tête, il est facile de comprendre pourquoi sur le diagramme (1), certains joueurs avec blanc, choisissent des coups autour de K15 (ou même G15), pour tenter d’entrer dans le territoire noir.

   A B C D E F G H J K L M N O P Q R S T
19 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
18 . . . . . . . . . . . . . . . # . . . 18
17 . . . . . . . . . . # . . # . . O . . 17
16 . . . # . . . . . ? . . . . . O . . . 16
15 . . . . . . ? . . ? ? . . . . . . . . 15        Board 1
14 . . . . . . . . . . . . . . . O . . . 14
13 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
12 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
11 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
10 . . # . . . . . . . . . . . . . O . . 10
 9 . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  9(1)
 

Ces secrets de Wang, bien que concernant le jeu de go, ne comprennent aucun terme technique de go. Ils paraissent donc écrits par un stratège militaire ou un philosophe ancien, plutôt que par un joueur de Weiqi. Dans le même ordre d’idées, voyons ce qui se cache sous ces diagrammes, en transposant la même problématique vers une situation de la vie humaine…

Imaginez vous à minuit, marchant seul dans une rue d’un quartier inconnu, mais qui vous semble hostile. Vous êtes exactement dans la situation consistant à entrer dans un monde étranger. Pour votre sécurité, vous devez alors avoir, le comportement suivant :

Cela nous a amené à définir les deux concepts de "rapide" et de "léger". Si "rapide" et "lent" (ou posé) sont peut être les termes les plus faciles à comprendre ;"léger" et "lourd" sont des qualificatifs un peu plus abstraits dans le monde du go, mais qui se retrouvent donc aussi dans d’autres domaines !

Voyons maintenant le diagramme (2), celui-ci est obtenu avec la séquence de coups de 1 à 10 (J16-K16-J14-H16-J12-K4-P2-O3-O2-N3-J10).

   A B C D E F G H J K L M N O P Q R S T
19 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
18 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
17 . # # O . . . . . O . . . . O . . . . 17
16 # . # O . ? . O # O . . . . . . # . . 16
15 . # O O . . . . . . . . . . . O # . . 15        Board 2
14 . O # # O O . . # . . . . . . O # . . 14
13 . O # O # . . . . . . . . . . O # . . 13
12 . . # O . . . . # . . . . . . . . . . 12
11 . # . O . . . . . . . . . . . . . . . 11
10 . . . . . . . . # . . . . . . . . . . 10
 9 . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  9
 8 . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  8
 7 . . . . . . . . . . . . . . . . # . .  7
 6 . . . . . . . . . . . . . . . O . . .  6
 5 . . . . . . . . . . . . . . . O # . .  5
 4 . . # . . . . . . O . . . . . O # . .  4
 3 . . . . # . . . . . . . O O O # # . .  3
 2 . . . . . . . . . . . . . # # . . . .  2
 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  1
   A B C D E F G H J K L M N O P Q R S T(2)

La séquence jouée par noir (J16-J14-J12-J10) est une parfaite illustration des termes "rapide" et "léger". En fait, J16 est un coup tellement léger que cette pierre peut être laissée en cas d’attaque, pendant que les autres pierres noires s’échappent, tout en ayant réussi à s’installer rapidement dans la zone d’influence blanche.

J16 est aussi une très bonne illustration de la règle « Rù Jiè Yí Huǎn ». Ce coup n’est pas seulement "lent" et "posé", il offre de plus la possibilité de détruire profondément le territoire blanc du nord. Cependant, c’est ce coup "lent" en J16, qui rend possible les coups suivants "rapides" et "léger". Si noir avait cherché à vivre "rapidement" sur place, il en aurait résulté un groupe "lourd", perdu en plein milieu de la sphère blanche.

Dans certains cas, il n’est pas essentiel de savoir si l’on peut ou non faire deux yeux dans le territoire adverse ; en sortant rapidement, avec une forme légère, noir peut alors vivre plus facilement, sans donner à blanc le contrôle du reste du goban.

Postscriptum :

Le joueur noir du diagramme (2) est le célèbre joueur japonais Kitani Minoru, qui, avec Wu Qing-Yuan (Go Seigen), est universellement reconnu pour avoir été le père de la théorie moderne du fuseki ("Bù Jú" en chinois). En commentant cette partie de son maître, Otake Hideo (9p) note que « J16 semble au premier abord trop profond à l’intérieur du territoire blanc, mais, ce n’est pas pour autant un coup trop risqué étant donné la faiblesse blanche en F16 ». Par conséquent, les concepts de "posé", "lent", "pas trop profond", ou "Huǎn" peuvent être appliqués dans ce cas particulier, en pensant au coup F16.

Pour décrire la forme noire après le coup J10, le commentaire d’Otake est que « la forme noire apparaît comme étant légère et facile ». Cependant, on peut dire que « la forme noire est légère et rapide », bien qu’elle soit le résultat du coup "Huǎn" (lent, posé) initialement joué en J16.